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DECRYPTAGE Page 4 Tout faire pour ne pas accumuler les éléments d’une dangereuse confrontation Le temps nous est compté !

Venus sans tambours ni trompettes,
ils sont rentrés en héros, célébrés par tout un continent. Les réseaux sociaux ont, évidemment,
frappé. Ceux qui ne voulaient rien entendre
ont entendu les cloches sonner. Ceux qui ne voulaient rien voir ont vu que la RDC est irrémédiablement coupée en deux. Il reste à savoir quelle leçon les uns et les autres en tirent pour eux-mêmes et pour le pays.
Trois ressortissants sénégalais du mouvement «Y en a marre » et un Burkinabè de l’ONG «Balai citoyen» sont aujourd’hui les nouvelles
vedettes d’une saga dont ils se seraient contentés de jouer le rôle de souffleurs, mais qui a fini par les précipiter au devant d’une scène tragi-comique qui a fait de la RDC la risée de l’opinion mondiale.
Un miracle authentique.Dans ces mêmes colonnes, nous écrivions que l’intérêt d’un régime chahuté est de faire porter sa stratégie de survie par ceux de ses opposants les plus crédibles. C’est à ces derniers que reviendrait le rôle ingrat de porter l’explication, de faire le plaidoyer.
Mobutu avait failli réussir avec le compromis politique global des années CNS. Mais à vouloir rouler
tout le monde dans la farine, à vouloir récupérer le jeu à son seul profit, il avait fini par se brûler les doigts. La faute aux thuriféraires, aux extrémistes et aux donneurs de tapes dans le dos ? Sans doute. Seulement, rien ne peut remplacer la conscience, cette voix intérieure qui condamne ou absout les crimes les plus odieux. Seulement, ces extrémistes, ces thuriféraires,
ces donneurs de tapes dans le dos sont de nouveau avec nous. Comme si l’histoire devait se répéter pour mieux nous précipiter dans la chute. Comme si le passé était déterminé à être notre avenir. Comme si une sorte de malédiction voulait que le destin des grands hommes ne fut fait que des enterrements célèbres, de ces couronnes
qu’on dépose, non pas sur des têtes royales,
mais sur des tombes creusées furtivement.
Les nouveaux héros
Toujours dans ces mêmes
colonnes, nous lancions
il n’y a guère longtemps
une alerte qui a sans doute fait sourire la bien-pensance. A vouloir tuer l’opposition officielle, à vouloir se moquer des seuls interlocuteurs avec lesquels le compromis est possible, la dynamique imprimée à la lutte des peuples par la révolution des nouvelles technologies
de l’information et de la communication, par la mondialisation des idées et des techniques, finit toujours par faire imploser
la bulle politique, par désacraliser les héros de tous les jours, ceux qui ont appris, et accepté tant bien que mal les règles, pour les remplacer par ces héros de bande dessinée
qui hantent l’imaginaire
des jeunes, ces stars de type djihadiste qui déclarent ouvertement
leur rejet des règles, puisant leur inspiration sur les réseaux sociaux auprès des califes désincarnés,
amateurs des décapitations publiques diffusées sur internet, de l’internationalisation des causes et des moyens de lutte, recruteurs de jeunes en rupture de société…
Daesh, Boko Haram, El Shebab, Janjawid, Aqmi…Mais comment mettre fin à la nouvelle guerre sans bloquer les réseaux sociaux, sans brimer les libertés individuelles
des mêmes populations qu’on prétend sécuriser, et donner des régimes les visages les plus hideux ? Le remède serait en définitive pire que le mal, achevant de boucler le cercle vicieux de la répression.
Ce miracle a un nom. Il porte la signature de ceux pour qui l’alternance est une tragédie. Ceux qui, pour se consoler de l’amertume d’une gloire qui ne reviendra jamais, veulent y substituer un jeu d’échecs dans lequel il suffirait d’enfermer la Reine dans sa Tour et de lever le pont pour croire que l’insaisissable destin derrière lequel on n’avait cessé de courir a enfin basculé. Une Reine de plus en plus critiquée dans ses choix par ses propres partisans, obligée de regarder son propre royaume du haut des fenêtres de son refuge, ou, comme jadis Bonaparte
retranché sur son Ile d’Elbe, de rire seul aux éclats en faisant des ricochets
sur l’eau avec des cailloux, pendant que, sur le continent, son pays se délitait.
Ces nouveaux héros n’ont pas pour nom Etienne
Tshisekedi, Jean Pierre
Bemba, Vital Kamerhe, Aubin Minaku, Augustin Matata Ponyo Mapon, Joseph Kabila ou Laurent Monsengwo Pasinya. Ils s’appellent plutôt Barro Mohamed, Sane Aliou, Talla Almamy, du mouvement
sénégalais «Y’en a marre» et Ouedraogo Sibri, leader de l’association
burkinabè «Balai citoyen». Ils s’appellent aussi, côté congolais Fred Bauma de la «Lutte pour le Changement», Alain Canon du mouvement
Eloko Ya Makasi, Lucrèce Lopengo, Dedy Kishimbi, Yves Makuambala,
Kadhafi Buyamba. Mais aussi l’Américain Kevin Sturr, Directeur de la Division Démocratie, Droits et Gouvernance de l’USAID.
Pathétiques Combien sont-ils aujourd’hui ? Combien seront-ils demain ? Quelles
expériences vont-ils partager ? A quel mot d’ordre vont-ils obéir ? De qui ces mots d’ordre vont-ils venir ?
Aucun de nos services ne sait, à ce jour, répondre à ces questions pour mieux prévenir la prochaine poussée de fièvre, rendue inévitable par un contexte de plus en plus délétère, le risque pour eux étant de verser dans la facilité en arrêtant à tour de bras et sans discernement.
Une chose est en tout cas sûre. Les modèles seront de plus en plus importés de la même manière que Che Guevara pensait exporter dans le monde sa lutte pour l’émancipation
des peuples, de la même façon que Nasser, N’Krumah, Lumumba prêchaient loin de leurs terres les idéaux de la libération…L’époque, les armes et l’auditoire ont certes changé. L’internationale
des peuples a en revanche laissé la place à la mondialisation des idées et au partage sans limites des expériences.
Face à la pieuvre qui voit pousser plusieurs têtes aussitôt qu’on lui en coupe une, nos Rambo, nos Jack Bauer ont l’air pathétique. D’avoir attiré l’attention des Congolais sur des activistes dont ils ignoraient, pour la plupart,
leur présence parmi nous, au risque de les transformes en libérateurs,
a étonné. Le scandale
n’est sans doute pas le meilleur moyen de se mettre positivement en vedette. Pas plus que libérer des étrangers et garder des compatriotes n’est le meilleur moyen de s’attirer les faveurs d’une opinion nationale de plus en plus radicalisée.
Pour preuve, cette avalanche
des réactions indignées qui a fait croire que la RDC était un pays de l’ailleurs, sans normes plutôt qu’hors normes. Plusieurs pays ont dénoncé
le recours à des méthodes d’une autre époque, notamment celle de la IIème République que la Révolution du 17 mai 1997 était censée enterrer. Le Sénégal et le Burkina Faso ont été aux premières loges de l’indignation
de l’opinion publique
internationale en raison
de l’interpellation de leurs ressortissants. Mais on peut également citer les Etats-Unis d’Amérique,
dont l’ambassade à Kinshasa a fait part de sa surprise en apprenant qu’il s’est agi dans cette affaire d’une tentative de déstabilisation des institutions,
mais aussi la Belgique, son ministre des Affaires étrangères Didier Reynders ayant publiquement fait part de sa vive émotion. On peut continuer la liste…
Le concert des protestations
a également mobilisé les ONG des droits de l’homme. Pour Human Right Watch, ce qui venait de se passer à Kinshasa était le «tout dernier signe alarmant de la répression des manifestations pacifiques
» mais aussi «d’une répression inquiétante de la liberté d’expression et de réunion en RDC». La Fédération internationale
des ligues des droits de l’homme (FIDH) a exprimé la crainte que ces arrestations aient pu déboucher sur des mauvais
traitements, tandis que la ligue sénégalaise des droits humains était encline à penser que «l’approche des élections
en RDC (allait) faire basculer le pouvoir à Kinshasa dans des actes irrationnels jusqu’à faire arrêter des activistes et des artistes citoyens du Sénégal, du Burkina Faso et de la RDC». Amnesty International a exhorté «l’Etat congolais à montrer
qu’il respecte les droits humains reconnus au niveau international «. Enfin, la «VSV» a dit son inquiétude à la suite des «pratiques et méthodes rétrogrades frisant le retour en force du pouvoir autoritaire en vue de terroriser des personnes
et d’étouffer tout élan citoyen de prise de conscience devant éventuellement
se traduire par la mobilisation de la population contre toute forme d’oppression des dirigeants au pouvoir en Afrique».
Face à tant de maladresse,
il devenait pathétique de crier au complot. Un peu comme si, dans ce
Tout faire pour ne pas accumuler les éléments d’une dangereuse confrontation
Le temps nous est compté !pays, on ne connaissait pas le mode de financement
de la société civile. Comme si le concubinage entre les sociétés civiles du sud et du nord était une nouveauté. Comme si les rapports entre les ONG et les ambassades étaient une révélation. Comme si le donneur de visa, les services d’intelligence
à la frontière étaient moins coupables d’avoir failli à leur tâche d’identifier et de stopper l’ennemi que ceux qui l’ont invité ou écouté.
Bref, on a, individuellement et collectivement, frôlé le ridicule, et ce n’est assurément pas la meilleure façon de rendre service à ce pays, cité aujourd’hui comme le champion toutes catégories
de la brutalité et de la répression.
A la recherche du génie perdu Où est finalement passé le génie politique de notre nation ? Des étrangers libérés, des Congolais punis pour l’exemple et le pays qui se retrouve au plus bas de l’échelle des droits de l’homme…
Où est le génie politique tant vanté de cette nation
quand c’est la jeunesse du continent qui rêve désormais d’aller au secours d’un pays supposé, à tort plus qu’à raison, d’être incapable de s’émanciper par lui-même, et qui aurait besoin d’un nouveau type de solidarité panafricaniste,
là où ses propres enfants ne brilleraient que dans la haine, les coups bas, les règlements des comptes ?
Le chef de l’Etat avait eu raison de s’interroger, à la faveur des concertations nationales, sur l’utilité du clivage majorité-opposition
dans un pays où tout reste à construire, les moeurs politiques comme la conscience nationale. La majorité n’y aurait que le réflexe confiscatoire comme mode de vie, les tendances dogmatiques, exclusivistes et exhaustivistes comme mode de gestion. L’opposition, elle, n’y rêverait, pour accéder au pouvoir, que de putsch et de revanche sur les hommes et sur l’histoire.
Autant dire un aveuglement général. Du coup, la mise en place des éléments de la confrontation
qui s’effectue sous nos yeux ne présage rien de bon. Le génie, le vrai, résiderait en revanche dans notre capacité à nous remettre en cause, individuellement et collectivement,
à accepter des compromis, à faire des concessions.
En un mot, le dialogue reste la seule voie de sortie. Le pouvoir pour le pouvoir, le pouvoir pour la jouissance, les privilèges,
la revanche ou le règlement des comptes, est un piège mortel pour tous. Notre devoir le plus sacré est de retrouver en nous les ressources morales nécessaires pour éviter de nous fracasser contre le mur. Un an et demi, cela passe vite, très vite. Le temps nous est compté.
Jean KENGE MUKENGESHAYI