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Ni superflic, ni «petit juge» Luzolo Bambi : vrais signaux, faux espoirs

C ’est le mardi 31 mars 2015 que par une ordonnance du président de la république, monsieur Luzolo Bambi a été nommé conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cette nomination intervient à un moment significatif. Alors que la polémique ne cesse d’enfler en RD Congo autour de la révision ou non de la constitution, de la fin du mandat du chef de l’Etat, de l’organisation des échéances électorales de 2016 et du «glissement» possible des échéances – et par ricochet du mandat – des suites d’un calendrier intenable ou d’un dialogue de plus en plus souhaité par l’ensemble de la classe politique, on ne peut pas ne pas constater que le chef de l’Etat a fait un geste qui n’est pas sans arrière-pensée en direction des partenaires extérieurs, principalement occidentaux aujourd’hui engagés sur plusieurs fronts dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et ses nombreuses tentacules. L’autre signal envoyé aux partenaires de la RDC est l’engagement, qui s’inscrit en filigrane de cette décision, de lutter contre la corruption qui a pris dans notre pays les allures d’un sport national. Des ministres connus sous l’étiquette de «monsieur ou madame 10 voire 20 ou 30% »; des managers d’entreprises qui rejettent tout contrat qui ne soit précédé par le versement d’une commission; des autorités à tous les niveaux qui font fuir des investisseurs en réclamant de figurer dans l’actionnariat sans avoir versé le moindre rond; des membres de leurs familles qui interviennent pour opérer des enlèvements d’urgence en douane, ou qui imposent des exonérations non prévues par le code des investissements mais dont ils sont les seuls bénéficiaires; des policiers qui se font graisser la patte dans la rue; des fonctionnaires qui exigent le double du prix d’un document officiel; des magistrats qui ne rendent pas la justice, ou qui ne la rendent qu’à la tête du client… «Pas de porte», «facilités», «démarches», « frais administratifs», «ouverture du dossier», «encre»… le vocabulaire n’a jamais manqué de fleurir, en RD Congo, quand il s’agit de masquer, sous le manguier de la corruption, un crime banalisé, accepté, assumé… Est-ce à cela que le chef de l’Etat pensait en nommant Luzolo Bambi au poste de conseiller spécial ? Est-ce à cela que ce dernier pense lorsqu’il fait le point sur la tâche qui l’attend ? L’un et l’autre savent –ils que l’opinion attend un véritable signal fort, dans l’espoir qu’une lutte sans merci soit engagée contre le crime organisé qui tire irrémédiablement ce pays vers le bas et détruit tout espoir d’émergence ? En réalité, ce n’est pas le boulot qui va manquer à Luzolo Bambi. On peut même, à priori, se féliciter que ce dernier se retrouve, peu ou prou, dans son milieu naturel. Ancien ministre de la justice et droits humains sous les gouvernements Muzito I et II, Luzolo Bambi connaît suffisamment les ressorts cachés du crime organisé en République démocratique du Congo, pour avoir lancé, avec le bonheur qu’on sait, la campagne tolérance zéro censée nettoyer la RDC de tous ses criminels, mais qui s’est noyée de la manière que l’on n’a pas oubliée en raison des résistances rencontrées à plusieurs niveaux. Luzolo Bambi ne s’imagine pas que c’est une soirée mondaine qui l’attend. Il n’ignore pas que pour éradiquer la pieuvre, la volonté politique seule, vraie ou supposée, ne suffira pas. Et qu’il faudra une organisation à la mesure du défi à atteindre, ainsi que des moyens matériels, humains et financiers conséquents pour traduire cette volonté en véritable programme politique. Scepticisme En d’autres termes, Luzolo Bambi devra batailler dur, dans la mesure où on ne le croira que sur pièces, lui dont la campagne précédente contre la pègre, en dépit d’une médiatisation outrancière, a laissé ce goût d’inachevé qui fait désormais douter l’opinion. Plusieurs opérations coups de poing avaient en effet été lancées sous son mandat de ministre de la justice et droits humains, mais en définitive pour le besoin du spectacle que dans un véritable souci d’efficacité. Des petits délinquants sans envergure, au regard des fléaux qui frappent ce pays de plein fouet et l’empêchent depuis des années d’accéder à l’émergence, ont été pris dans les mailles du filet tendu par la police ; des vols charters ont été organisés, officiellement pour nettoyer Kinshasa de sa fange. Au final, ce sont des rires qui ont couronné les efforts sans doute surfaits du ministre Luzolo Bambi. De sorte qu’aujourd’hui, il est commun de se demander si les délinquants alors relégués sont toujours dans les prisons où ils avaient été envoyés ou, par contre, s’ils se sont évanouis dans la nature en se gaussant du bon coup joué aux autorités. Difficile, évidemment, de répondre à toutes ces questions. En revanche, deux choses paraissent, à ce stade, sûres. La première : Luzolo Bambi retrouve ses dossiers de lutte contre la petite et la grande délinquances là où il les avait abandonnés, pour autant qu’il soit permis de penser que sa nouvelle tâche sera complémentaire à la mission du ministère de la justice et droits humains. Deuxièmement : au vu de ses exploits antérieurs et en dépit de sa bonne volonté, Luzolo Bambi ne devrait pas s’attendre à des applaudissements nourris d’une opinion qui lui a toujours reproché d’investir dans le spectacle sur les petits délinquants, sans jamais réussir à faire le moindre mal à ce que les Kinois appellent «Kuluna à col blanc», catégorie des délinquants la plus concernée par les questions de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. A cet effet, il est permis de penser que le parquet général de la république ne manque pas, dans ses tiroirs, des dossiers plus que sulfureux de corruption et de détournement des deniers publics. Par ailleurs, différents rapports aussi bien des experts de l’Organisation des Nations Unies que des ONG de défense des droits de l’homme, tant nationales qu’internationales, ont suffisamment documenté les trafics les plus divers, proches du terrorisme, allant de la vente des armes aux forces négatives qui écument l’Est de la République, en passant par le pillage des ressources du sol et du sous-sol qui ont alimenté la guerre, provoqué des massacres des populations et poussé nombre des Congolais sur le chemin de l’exil dans une région où les réseaux islamistes tentent de recruter et de s’installer. Ce n’est pas tout. Tous ces affidés du hezbollah qui créent des banques dites de proximité; tous ces fils idéologiques du Boko Haram qui installent à tout vent des ONG de micro-crédits juste pour blanchir l’argent du crime international; tous ces djihadistes en cravate, enturbannés ou en burqa qui vivent des trafics les plus innommables et narguent chaque jour les Congolais par leur enrichissement rapide et sans cause, tout porte à croire qu’ils sont parfaitement connus de nos services d’intelligence. De sorte que s’il faut se féliciter de la décision du chef de l’Etat – mieux vaut tard que jamais – de s’attaquer à l’hydre tentaculaire de la criminalité, on notera au même moment que c’est là la principale difficulté qui attend Luzolo Bambi, dans la mesure où – c’est un secret de polichinelle – derrière chaque trafiquant, derrière chaque criminel, chaque corrupteur et chaque corrompu se détache généralement l’ombre d’une autorité, d’un monsieur ou d’une madame 10, 20 voire 30 %. Derrière chaque délinquant à col blanc, qu’il soit congolais ou étranger, se détache toujours un colonel, un général, un ministre, un député ou un sénateur, un magistrat particulièrement oublieux ou un juge complaisant. La deuxième difficulté qui attend Luzolo Bambi, c’est évidemment son statut. On a beau dire, ce n’est tout de même pas l’Unité Anti-terroriste – la fameuse CTU – de la série américaine 24 heures chrono de l’indestructible Jack Bauer, disposant des pouvoirs les plus étendus et des moyens les plus larges pour donner des coups de pied dans la fourmilière, tirer sur n’importe qui, arme au poing, au nom de l’intérêt général et de la sécurité de tous. On ne le verra pas investiguer dans telle ou telle entreprise soupçonnée d’organiser le trafic illicite des minerais. On ne le verra pas investir telle banque, telle ou telle ONG soupçonnée de recevoir des fonds d’origine douteuse, avant de bloquer ses comptes afin de mieux nettoyer les écuries d’Augias. On ne verra pas, à son initiative, des généraux, des colonels, des ministres, des PDG d’entreprises menottés et déférés devant les instances judiciaires pour leur rôle supposé dans la criminalisation de l’économie nationale. Ni «petit juge», ni superflic ! Luzolo Bambi, tout simplement, n’est pas ce petit juge italien disposant de pleins pouvoirs pour faire la guerre à la Camorra, jusqu’à pousser celle-ci à mettre sa tête à prix. Il n’est pas non plus ce superflic genre Rambo ou Jack Bauer susceptible de s’infiltrer dans les organisations les plus secrètes et les plus fermées, recueillir les révélations les plus inédites sur les parties fines organisées par ces Congolais et ces étrangers devenus des états dans l’état, ces criminels bcbg manucurés, pédicurés, parfumés comme des cocottes, vivant de la corruption et des trafics, se gavant de viols quotidiens de nos mineures comme d’autres se gavent de friandises ou de mets les plus rares. Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, le fait est que Luzolo Bambi, malgré toute sa bonne volonté, malgré l’impressionnant volume de travail qui l’attend, ne sera «que» le conseiller spécial du chef de l’Etat. La décision ne lui appartiendra jamais et les dossiers risquent de s’accumuler. Sauf, évidemment, s’il arrive à convaincre son patron de la nécessité et de l’urgence qu’il y a à mettre en place un service spécial doté des pouvoirs les plus étendus et des moyens d’investigation les plus pointus, utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour affiner ses enquêtes et bénéficiant des rapports particuliers avec le parquet pour déférer en urgence les criminels. Enfin, un service capable de rémunérer les informations les plus pointues et de protéger aussi bien ses informateurs que les témoins face à la toute puissance du crime. Est-ce bien à cela que pensait le chef de l’Etat en nommant Luzolo Bambi, ou s’agit-il d’un nouveau gadget destiné à la consommation de nos partenaires, une sorte de baudruche qui va se dégonfler aussitôt qu’il aura pris l’air ? C’est évidemment sur pièces que tout cela sera scruté, jugé et apprécié par l’opinion. En attendant, quand bien même le doute reste permis, bon vent à Luzolo Bambi.